Hasard du calendrier : c’est au moment où les inquiétudes sur les motivations des fonds souverains se font plus vives qu’un fonds public chinois a choisi d’entrer dans le capital du français Total.
Dans le cas présent, ce fonds « a pris graduellement position depuis quelques mois », a-t-on appris hier auprès de Total qui semble plutôt bien accueillir ce nouvel actionnaire. C’est même un « message positif pour le groupe » car « les fonds souverains placent leurs liquidités dans des actifs rentables et de long terme », s’est même félicitée une porte-parole de Total.
Selon le quotidien britannique Financial Times, l’investisseur serait la State Administration of Foreign Exchange (SAFE), l’organisme qui gère les réserves de la banque centrale chinoise. Total n’a pas voulu dire quel pourcentage d’actions le fonds détenait. Selon le Financial Times, qui cite une personne proche de la compagnie chinoise, la SAFE aurait acheté 1,6 % du capital du groupe français.
Le Groupe Bruxelles Lambert, du financier belge Albert Frère, reste « toujours le premier actionnaire » de Total, avec 3,9 % du capital, a assuré le groupe pétrolier. Avec la Compagnie nationale à portefeuille, détenue aussi par Albert Frère, ce dernier contrôle 5,3 % du capital de Total.
Il n'est cependant pas exclu que le fonds chinois étende sa participation. La part des actionnaires asiatiques dans Total « va monter », dit-on au sein du groupe, car « l’Asie est en pleine croissance ».
Au 31 décembre, le capital de Total était détenu à 88 % par des investisseurs institutionnels (d’Amérique du Nord à 29 %, de France à 21 %, du Royaume-uni à 14 %, du reste de l’Europe à 21 % et du reste du monde à 3 %), à 8 % par des actionnaires individuels et à 4 % par des salariés.
Un atout chinois dans sa botte
D’un point de vue opérationnel, cette entrée chinoise est présentée comme utile au géant pétrolier français. Total emploie déjà 4 000 personnes en Chine où il souhaite accroître sa visibilité et son activité. Total y a pour principal partenaire Petrochina, filiale cotée du premier producteur de gaz chinois China National Petroleum Corp (CNPC), avec laquelle il a conclu en 2006 un accord pour l’exploration et la production d’un champ gazier ainsi qu’un accord d’achat et vente de gaz. Le français opère aussi avec Petrochina une raffinerie dans le nord du pays et est partenaire de Sinochem, quatrième groupe pétrolier chinois, pour la construction de stations service.
Reste à savoir si ce fonds participera activement à la stratégie de Total voire entrera à son conseil d’administration, se demande cet investisseur.
Les fonds sont actuellement particulièrement actifs. Certains cherchent notamment à tirer profit de la crise du « subprime » en rachetant à prix bradés des titres liés aux prêts immobiliers américains, dont les investisseurs cherchent à se débarrasser. Quelques-uns des plus grands fonds d’investissement, de BlackRock à Blackstone en passant par Apollo, sont ainsi entrés dans la danse. Plusieurs banques, notamment Goldman Sachs et Morgan Stanley, se seraient même engagées sur cette voie par le biais de leurs fonds spéculatifs, d’après le Financial Times. Ces fonds en question cherchent avant tout à racheter des obligations adossées à des prêts immobiliers, les fameux ABS (« asset backed securities »). A la faveur de la détérioration du marché immobilier, beaucoup de ces titres ont vu leur valeur chuter. Le rendement des obligations, qui évolue en sens inverse de leur prix, a, dès lors, bondi. Mais la crise du « subprime » ayant détourné beaucoup d’investisseurs de tout titre touchant, de près ou de loin, à l’immobilier américain, les fonds spéculatifs ne sauraient compter sur une plus-value à court terme liée à la revente de ces obligations. Les fonds pourraient donc garder ces titres jusqu’à maturité.
Toutefois, cette tendance commence à inquiéter, surtout quand elle concerne des fonds plus « exotiques ». Ainsi, le Fonds Monétaire International n’a pas manqué de faire part de ses interrogations sur leur transparence et de leurs motivations politiques qui pourrait être « destructrices », estime son conseil d’administration. Pour apaiser ces craintes, le FMI propose ainsi de créer un « code de bonne conduite ».
Pour redorer leur image, la Banque mondiale les a invités à investir 1 % de leurs actifs, évalués à 3 000 milliards de dollars, dans un mécanisme d’aide à l’Afrique.
CIC, nouveau bras financier de la Chine
Pékin semble bien évidemment la première visée. Le chinois China Investment Corporation CIC semble vouloir devancer les attaques en prônant sa transparence. La jeune société d’investissement de l’Etat a multiplié les entrées capitalistiques depuis sa création en septembre dernier. La CIC vient d’apporter 5 milliards de dollars à la banque américaine Morgan Stanley pour l’aider à rétablir ses fonds propres, mis à mal par les énormes dépréciations d’actifs résultant de son exposition au marché des crédits hypothécaires à risques. Cet apport de fonds dans Morgan Stanley n’était pas le premier gros investissement de CIC. Le fonds souverain a déjà investi 3 milliards de dollars pour une participation minoritaire dans le fonds américain Blackstone. D’autres investissements devraient sans nul doute être annoncés. D’un côté, ils peuvent être bienvenus. Le FMI rappelle que les fonds souverains ont joué un rôle stabilisateur dans l’économie mondiale pendant la crise des « subprimes ». De l’autre, cette masse monétaire fait peur tout comme les ambitions de ceux qui la manient.
Lors d’une conférence organisée par le Crédit Suisse, l’un de ses vice-présidents n’a pas manqué de souligner que le CIC s’était fixé des objectifs de rendement mesurés, aux alentours de 5 %. Reste que la stratégie chinoise en la matière est d’obtenir pour ces investissements des rendements supérieurs à ceux issus d’autres placements, notamment dans les fonds d’état américains, qui sont pour beaucoup alimentés par de l’argent chinois.
Il faut aussi bien garder à l’esprit que le CIC a de quoi faire avec près de 200 milliards de dollars dans ses caisses. Et la Chine possède 1 530 milliards de dollars de réserves de change. La marge de manoeuvre est grande pour l’une des premières économies de la planète, à la tête des premières réserves de change au monde, et qui ne représente pour le moment qu’un pour cent des investissements étrangers mondiaux.