Crise alimentaire : Le Japon propose ses surplus de riz
Article du 23/05/2008
Producteur excédentaire de riz et obligé, en plus, d’en importer en vertu d’accords internationaux, le Japon est assis sur un abondant stock inutilisé dont il ne sait que faire. Ailleurs dans le monde, la cherté des denrées alimentaires a conduit à des « émeutes de la faim » initiées par des populations affamées.
Ces derniers mois, la flambée alimentaire a entraîné des manifestations violentes en Egypte, au Cameroun, en Côté d’Ivoire, au Sénégal, au Burkina Faso, en Mauritanie, en Ethiopie, à Madagascar, aux Philippines, en Indonésie... Au Pakistan et en Thaïlande, l’armée a même été déployée pour éviter le pillage de la nourriture dans les champs et les entrepôts. En Haïti, les émeutes ont fait au moins cinq morts et 200 blessés et a coûté son poste au Premier ministre. La Banque Mondiale considère que 33 Etats dans le monde sont menacés de troubles politiques et de désordres sociaux à cause de la montée brutale des prix des produits agricoles et énergétiques.
En Haïti, souligne la Banque Mondiale, « le prix du riz, du maïs, des haricots, de l’huile de cuisson et d’autres denrées alimentaires de base ont augmenté significativement ces derniers mois ». Le prix d’un sac de 50 kilos de riz, l’aliment de base en Haïti, a doublé pour atteindre 70 dollars dans un pays où 80 % de la population vit avec moins de 2 dollars par jour.
Le prix du riz dans le monde a explosé ces derniers mois, passant de 375 dollars la tonne en décembre à 1 100 dollars la tonne en avril, selon les calculs de l’organisation américaine Center for Global Development (CGD). Selon l’organisation de l’ONU pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), les prix ont « enregistré une augmentation d’environ 76 % entre décembre 2007 et avril 2008 » et « les cours internationaux devraient se maintenir à des niveaux relativement élevés ». « Pour que les prix baissent il faudrait de bonnes conditions climatiques au cours des prochains mois, couplées à la levée des restrictions gouvernementales sur les exportations. Toutefois, il est peu probable que les cours retrouvent leur niveau de 2007, les producteurs devant payer plus cher les engrais, les pesticides et le pétrole », conclut la FAO. Malgré tout, « la production mondiale de riz pour 2008 pourrait s’accroître d’environ 2,3 %, atteignant un nouveau niveau record de 666 millions de tonnes », d’après les prévisions préliminaires de la FAO.
Cela n’émeut guère le consommateur au Japon où le riz est hors de prix depuis des décennies. Les prix de vente y dépassent allègrement les 2 000 dollars la tonne sans alternative possible pour le consommateur, subventions massives et droits de douane prohibitifs verrouillant jalousement le marché.
Les Japonais appellent pourtant leur pays « mizuho no kuni » ou « pays du riz abondant ». Les myriades de petites fermes rizicoles, souvent familiales, qui tapissent le paysage de l’archipel. Ces petites exploitations, inefficaces économiquement, ne survivent que parce qu’elles sont soutenues à bout de bras par l’Etat. Et ce alors même que 40 % des rizières japonaises sont actuellement inexploitées et que la consommation nationale de riz ne cesse de décliner.
Selon le ministère de l’Agriculture, le Japon a produit 8,71 millions de tonnes de riz en 2007, dont seule une quantité infime a été exportée. « Le marché japonais du riz est largement indépendant du marché international », note Kyohei Morita, analyste chez Barclays Capital à Tokyo.
Le Japon importe aussi chaque année 770 000 tonnes de riz étranger, essentiellement des Etats-Unis, de Thaïlande et du Vietnam, pour garantir un « accès minimal » à son marché en vertu des règles de l’Organisation Mondiale du Commerce. Ces importations n’atterrissent jamais sur les étals des supermarchés. « Le riz thaïlandais est inadapté à la cuisine japonaise. Quant au riz californien, il est similaire au riz japonais. Mais pour protéger les fermiers, le gouvernement leur a promis que le riz importé ne sera jamais utilisé pour la consommation directe », explique Nobuhiro Suzuki, professeur en sciences agronomiques à l’Université de Tokyo.
De ce fait, quelque 2,3 millions de tonnes de riz sont actuellement stockées par l’Etat dans une dizaine d’immenses hangars réfrigérés. Un million de tonnes proviennent des excédents nationaux. Le reste est constitué de riz importé.
L’actuelle crise alimentaire mondiale constitue une excellente occasion de s’en délester. Alors que de nombreux pays producteurs de riz redoutent actuellement une famine, Tokyo a exprimé son désir de revendre une partie de ses stocks qui risquent autrement de finir jetés en pâture aux animaux. Le Japon a ainsi annoncé son intention de vendre d’urgence 200 000 tonnes de riz aux Philippines et 20 000 autres tonnes à cinq pays d’Afrique.
Quant aux Etats-Unis, ils envisagent d’autoriser le Japon à revendre à des pays tiers le riz qu’il leur achète. En vertu des règles de l’OMC, un pays ne peut en effet réexporter du riz que si l’exportateur initial donne son accord.
La conjoncture offre une double aubaine au Japon qui va ainsi pouvoir engranger des recettes issues de ces échanges dans le cadre de l’aide au développement et en tirer des avantages diplomatiques grâce à sa « générosité ».